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Philippe Pottier : le débat sur la probation est « un moment historique »

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La première vague des mille nouveaux conseillers pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) va être accueillie en septembre à l’Ecole nationale de l’administration pénitentiaire d’Agen. C’est un bouleversement considérable pour un petit corps de 4000 personnes. Les CPIP sont chargés du suivi et de l’accompagnement des condamnés, en prison et et en milieu ouvert, et sont évidemment au cœur de la réforme sur la peine de probation – la contrainte pénale –, qui doit être adoptée par le Parlement avant l’été. Les 380 personnes admises à Agen seront ainsi les premières formés à cette nouvelle peine. Philippe Pottier, directeur de l’ENAP depuis janvier 2013, est lui un militant de longue date de la probation.

L'Assemblée nationale doit adopter mardi 10 juin le projet de loi instaurant la contrainte pénale. Etes-vous satisfait ?

« Je n’étais pas sûr de voir cela de mon vivant professionnel, il y a eu une évolution incroyable en quelques années. On discute de la probation au Parlement, c’est bien la première fois. Elle existe depuis 1958, mais dans une invisibilité sidérante. Il ne s’agit pas de faire dans l’emphase, mais c’est un moment un peu historique. Il est en effet difficile d’avancer lorsqu’on parle de délinquance ; on parvient mal à distinguer l’aspect criminologique des aspects philosophiques, politiques ou idéologiques, c’est assez fatigant. Tout l’enjeu est d’arriver à professionnaliser la probation, qui n’est ni de droite, ni de gauche : la question est seulement de savoir comment faire ce travail correctement. Même sans le projet de loi, il fallait faire ce chemin, il était inévitable. Qu’il soit porté par la politique du gouvernement est assurément un atout considérable.

La prison n’est ni pire ni meilleure que la probation, ce n’est pas la question : il s’agit de savoir quelle est la meilleure mesure pour aller vers la sortie de la récidive – ou la plus adaptée socialement, parce qu’il est normal que les gens considèrent que les comportements dangereux soient punis –, on n’est pas dans l’angélisme. Probation-3 Il faut évidemment y mettre les moyens. Avec le remplacement des départs en retraite, le taux de renouvellement des conseillers d’insertion va ainsi atteindre 30%, ce qui ne s’est jamais vu.

D’où un enjeu de formation essentiel. Nous n’avons pas de problèmes de recrutement, la vraie question, c’est qui on recrute. Jusqu’à maintenant, c’était très universitaire, les juristes représentent près de 60% des candidats. Il s’agit aujourd’hui d’apprécier leur capacité à exercer ce type de fonction, qui suppose d’être en relation avec des gens, d’avoir de l’empathie, de ne pas rester dans un bureau. Les études à l’étranger l’ont démontré, l’un des éléments décisifs, c’est que l’agent de probation soit mobilisateur, et ce n’est pas en écrivant une dissertation qu’on le voit.

Quel est le métier des conseillers d’insertion ? Ils sont des délégués du juge d’application des peines, des assistantes sociales ?

C’est un métier spécifique : l’accompagnement de personnes délinquantes, dans le cadre d’une peine, vers la sortie de délinquance. C’est humainement passionnant ; cela fait quarante ans que je voie des condamnés, c’est parfois un peu lourd, et il vaut mieux être passionné. Ce métier suppose des interventions, une évaluation et une relation adaptés. Avec un enjeu fondamental : si une personne est condamnée, c’est parce qu’on considère qu’elle est responsable de ses actes : l’acteur principal, c’est le délinquant. Ce qui structure le travail, c’est comment l’accompagner pour en sortir – ce qu’on appelle la désistance.

La désistance survient quand la personne le décide : on ne peut pas avoir de construction mécanique. On ne peut pas dire : « Si je fais ça, ça va produire ça ». Mais on peut dire : « Si je ne fais pas ça, il y a beaucoup moins de chances que ça arrive ». Ce type d’accompagnement engendre des baisses significatives de la récidive. Les débats ont été nombreux, ces dernières années. Des chercheurs ont voulu montrer que le résultat était le même que l’on fasse quelque chose ou pas. Ce n’était pas Probatob-4tellement enthousiasmant, mais c’était lié aux types d’intervention de l’époque. Depuis quinze ans, des chercheurs ont entrepris de voir ce qui marche, et, grâce à des structurations d’intervention plus solides, sont arrivés à des résultats. Cela ne marche pas à 100% bien sûr, mais on est quand même payé pour ça.

C’est donc un métier qui suppose une relation particulière avec les délinquants, dans un cadre contraint – c’est déjà une différence avec une assistante classique. Toute la question est de savoir comment on entame cette relation. D’où l’importance de l’évaluation initiale, ce qu’on appelle le « jugement professionnel structuré », c’est à dire pas le doigt mouillé, mais l’accumulation d’éléments objectivés. Je prends un exemple caricatural : un délinquant qui est par ailleurs chômeur. On pourrait avoir l’idée simple de se dire que ce gars a un problème social, qu'on va l’aider à trouver un emploi et qu'il ne sera peut-être plus délinquant. C’est peut-être la raison, mais cela ne va pas de soi.

Il se peut aussi qu’il soit au chômage pour les mêmes raisons qu’il est délinquant : le nombre de détenus et de gens suivis en milieu ouvert, rapporté aux 3 millions de chômeurs, est infinitésimal, il n’y a donc pas d’effet mécanique. L’évaluation va permettre de mesurer ces éléments statiques – ceux qui sont constitutifs de la personne. Suit une partie plus clinique, l’entretien, qu’il faut là aussi structurer. Ce n’est pas un entretien de psychologue : il s’agit de savoir où en est la personne de sa réflexion sur la délinquance, de son niveau de prise de conscience, de son envie d’en sortir.

De nouveaux outils sont disponibles aujourd’hui ?

Ils existent dans de nombreux pays, mais il faut les adapter au cas français. Les traduire, pas seulement en mots : les définitions d’infractions ne sont pas les mêmes d’un pays à l’autre. Il s’agit de mettre en place une vraie culture de l’évaluation, avec des connaissances disponibles depuis une quarantaine d’années dans les sciences sociales. Ces outils mêlent à la fois les démarches de type statistiques ou actuariels, qui visent à repérer dans l’histoire d’une personne les risques de récidive, créées sur des séries statistiques de milliers et de milliers de gens.

Cette grille est complétée par l’entretien. Probation-2Un condamné peut présenter tous les facteurs statiques de récidive mais sa propre évolution va lui permettre de sortir de la délinquance. L’idée, c’est que tout le monde peut en sortir : on se refuse à dire « untel c’est foutu, il ne s’en sortira jamais », « untel va s’en sortir obligatoirement » –, mais ça donne des indications pour structurer l’intervention. Rendre le plus objectif possible cette évaluation passe par la professionnalisation, et permet aussi aux conseillers d’avoir des normes communes, de comprendre ce qui a pu se passer si le condamné a récidivé. Et bien sûr de fournir aux magistrats des évaluations qui ont plus de consistance.

Les outils actuariels, qui sont des grilles d’analyse prédictives mises au point par les assurances, sont très discutés...

Ils sont mécaniques si l’on applique les premières grilles actuarielles d’il y a quarante ans. Nous n’en sommes plus du tout là. Nous avons aujourd’hui des grilles plus souples, qui visent à donner une base de réflexion, pas à poser un jugement. Nous en sommes à la quatrième génération de ces outils, expérimentés au Canada, en Angleterre, Belgique, Suisse, Pays-Bas, dans les pays scandinaves, dans la droite ligne des recommandations du Conseil de l’Europe.

Le problème reste le temps qu’il faut y consacrer ?

Absolument. Actuellement, un CPIP a 120 ou 150 dossiers, c’est évidemment trop. Mais dans ces dossiers, on a des gens qui doivent faire un travail d’intérêt général (TIG), et avec qui il n’y a pas de problème particulier : on ne va pas passer des heures à travailler avec eux. Alors qu’avec d’autres, il y a du boulot, parce qu’ils sont dans la vie délinquante. Le problème, c’est bien de changer leur mode de vie : grâce à une évaluation structurée, on peut repérer sur qui on va passer du temps. Si l’on intervient trop, cela risque même d’avoir l’effet inverse, comme certains parents qui surprotègent leurs enfants.

Après cette sélection, on peut organiser le travail autrement. Des surveillants s’occupent déjà du suivi des placements sous surveillance électronique, on peut très bien imaginer de leur confier certains autres dossiers, pour libérer du temps pour les conseillers. Il faut par ailleurs en augmenter le nombre. Jean-Marc Ayrault avait dit qu’il ne fallait pas leur confier plus de 40 dossiers chacun, c’est raisonnable, c’est ce qui se passe dans beaucoup de pays Probation-5– mais il s’agit là de vrai suivi. On en est loin aujourd’hui. Pour deux raisons : le manque d’effectifs qu’on va commencer à combler, et parce que personne ne peut vous dire, sur les 170 000 personnes suivies en milieu ouvert, combien appartiennent à la catégorie de ceux qu’il faut absolument suivre et combien appartiennent à celle pour qui un simple contrôle suffit.

On ne peut pas par ailleurs s’abstraire de la question de l’efficacité du travail. Les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) ne sont pas gratuits, il est normal qu’on se demande quelle est l’efficacité des moyens investis. La question n’est pas l’éradication de la récidive, mais, si nous sommes organisés avec des méthodes éprouvées, d’aller vers l’objectif d’une diminution de la récidive. On voit ce qui est raisonnable : ce qui compte, c’est qu’il y ait le moins de délinquants possible. Une majorité ne récidivent d’ailleurs pas, c’est une chose que les gens n’ont pas en tête. 80 000 personnes entrent en prison chaque année, si les récidivistes revenaient en majorité et s’ajoutaient aux nouveaux délinquants, on arriverait à des chiffres astronomiques. Ce n’est pas le cas. Parce que la délinquance n’est pas un comportement qui dure toute une vie. Pour des tas de raisons.

L’âge est-il une variable importante ?

L’âge, évidemment. Mais il ne suffit pas d’attendre : la probation consiste justement à ne pas attendre. Il vaut mieux que le délinquant arrête à 30 ans qu’à 40, et ce n’est pas un pari impossible. La loi ne permet pas tout, mais elle permet de donner un cadre. En ce sens, la césure du procès pénal dans la loi Taubira est extrêmement importante : le juge se prononce sur la culpabilité, puis plus tard sur la peine qu’il va infliger. C’est lourd à mettre en place, mais c’est essentiel. Pour cela, il faut une évaluation. Comment le juge peut-il prononcer une peine de probation s’il n’a pas les éléments ? Avec évidemment des questions d’ordre public : si le gars est dangereux, cela apparaîtra dans l’évaluation de façon évidente.

Comment sont reçues ces nouvelles pratiques chez les CPIP ?

De façons variables ! Il y a des gens enthousiasmés par ces évolutions, parce qu’elles ouvrent des perspectives passionnantes. Nous avons à l’opposé des gens vent debout, qui disent que la probation française existe – ce qui est vrai – et qu’ils savent déjà travailler. Mais ce type de métier ne peut que changer en fonction des évolutions culturelles, de la façon dont une société considère sa délinquance. Quand j’ai débuté, 70% des détenus Probation-1l’étaient pour des infractions sur les biens. Maintenant, ils le sont à 70% pour des violences. Auparavant, il y avait très peu de délinquants sexuels en prison. Quand il y en a eu 25%, c’est devenu une autre affaire, on s’est dit qu’il y avait peut-être quelque chose à travailler.

La première question est de se demander quelle est la peine qui aura le plus d’efficacité. On ne prend pas en charge un homme de 60 ans comme un autre de 20. La construction culturelle des personnes est aujourd’hui trop peu prise en compte. Je suis un Auvergnat de Paris, je ne suis pas construit de la même façon qu’un Beur de la troisième génération. C’est constitutif de la personne, ce n’est pas pour ça qu’elle est délinquante ou pas, ça n’a pas de rapport, mais il faut le prendre comme une donnée existante, qui n’est ni à juger, ni à qualifier. Si on s’aperçoit que les principes religieux sont le levier de quelqu’un, pourquoi ne pas les utiliser ? J’ai travaillé avec les Kanaks en Nouvelle-Calédonie et avec des Polynésiens à Tahiti, et ça me donne sans doute un tropisme particulier, mais on passe aujourd’hui trop souvent à côté. »


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