La réforme pénale a finalement été adoptée jeudi 5 juin dans la nuit sans grand problème, devant une pincée de députés de l’opposition ; la plupart de leurs 500 amendements n’ont même pas été examinés faute d’orateurs pour les soutenir. En dehors de deux épisodes houleux, le texte de la commission de lois a ainsi été voté dans le calme, les peines plancher ont été supprimées ; la peine de probation - la contrainte pénale - enfin créée.
Même si le projet de loi a été incontestablement durci en commission afin de louvoyer entre les exigences des ministres de l’intérieur et de la justice, un aussi prompt résultat était inespéré pour Christiane Taubira, qui s’en est « réjouie ». Le texte sera officiellement adopté mardi 10 juin par l’Assemblée nationale, le Sénat doit l’examiner à son tour du 24 au 27 juin.
La seule concession à laquelle a dû consentir Dominique Raimbourg, le rapporteur PS de la loi, touche précisément à la contrainte pénale : le texte arbitré en août 2013 par le gouvernement prévoyait qu’elle pourrait être infligée par un tribunal aux délits – et pas aux crimes - pour des peines prévues dans le code pénal d’un maximum de cinq ans, et dix ans en récidive, et non pas des peines effectivement prononcées. Des peines « encourues », qui ne disent pas grand chose de la gravité des faits commis. Le groupe socialiste l’avait étendu à tous les délits, soit dix ans, et donc vingt en récidive. La démarche avait sa cohérence : le sursis mise à l’épreuve (120 000 peines par an sur les 600 000 condamnations annuelles) a été imposé en 1958 par le général de Gaulle et concerne tous les délits, et même les crimes.
Compromis sur la contrainte pénale
Christiane Taubira a laissé passer l’amendement socialiste en commission sans piper mot, avant de se faire rappeler à l’ordre par le chef de l’Etat après les protestations de Bernard Cazeneuve, le ministre de l’intérieur. Dominique Raimbourg a sorti la ministre de ce moment difficile en faisant voter cette nouvelle peine pour les délits sanctionnés de cinq ans, jusqu’au 1er janvier 2017 – quand les socialistes seront encore au pouvoir – elle sera ensuite étendue à tous les délits. Ce n’est pas bien grave : la chancellerie avait estimé que la contrainte pénale pourrait concerner 8 à 20 000 personnes, la porter à tous les délits en rajouterait 3 à 4000, alors que 170 000 condamnés sont déjà suivis hors de la prison, en milieu ouvert. Et ce délai permettra aux magistrats de rôder la nouvelle peine, et aux conseillers d’insertion de se former.
Reste que la peine de probation n’est toujours pas détachée de l’emprisonnement, la commission d’aménagement des peines pourra réincarcérer un probationnaire s’il ne respecte pas ses obligations, ce qui est un recul majeur sur les préconisations de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive. Pour donner un peu de corps à la contrainte pénale, que beaucoup, à raison, distinguaient mal du sursis mise à l’épreuve (SME, la principale des condamnations, 120 000 par an), la garde des sceaux a sorti du SME à plusieurs obligations : « exercer une activité professionnelle, suivre un enseignement ou une formation, l’obligation de soins ou d’accomplir un stage de citoyenneté » - seront, à partir de 2017 réservés à la contrainte pénale, grâce à un amendement de dernière minute de la chancellerie.
Le statut des récidivistes
L’essentiel du texte est ailleurs, et a curieusement provoqué moins de débats : l’alignement du statut des récidivistes sur les autres condamnés. Les récidivistes, c’est-à-dire non pas les personnes à nouveau condamnés, mais ceux qui le sont pour le même délit, encourent déjà un doublement de leur peine, mais la droite avait encore durci leur sanction. Les fameuses peines plancher, de moins en moins utilisées (dans 37% des cas où elles étaient possibles), mais qui étaient encore responsables de 15 000 années de prison) ont été supprimées, malgré la bataille de fond de cour de Guy Geoffroy, l’un des rares députés de l’UMP, avec Georges Fenech, à avoir sérieusement travaillé le texte – mais il avait été en 2007 rapporteur du projet sur les peines plancher et l’a pris comme un désaveu personnel.
La révocation automatique des sursis pour les récidivistes est également supprimée – elle est encore possible, mais le tribunal le décidera, ce qui devrait éviter près de 10 000 courtes peines d’emprisonnement. Ce « laxisme » supposé pour les récidivistes, répété à satiété par la droite, a sa logique : les études ont prouvé dans la plupart des pays européens que les délits les moins graves, comme les vols simples, sont ceux qui occasionnent le plus de récidive, après un passage en prison dont les condamnés finissent évidemment par sortir. Autant soumettre directement ces petits délinquants, qui en ont le plus besoin, à un suivi sérieux et un contrôle sévère en évitant la case prison, dont l’effet dissuasif n’est pas frappant.
Enfin, un examen aux deux-tiers de la peine (à mi-peine, a protesté l’UMP, en raison des réductions de peine) sera désormais obligatoire, pour éviter « les sorties sèches », c'est-à-dire sans aucune préparation - c’est aujourd’hui le cas de 80% des condamnés, et même de 98 % pour les peines de moins de six mois, qui se retrouvent sans aucun suivi sur le trottoir avec leur petit sac de plastique et un ticket de métro.
Suspension de peine pour les femmes enceintes
En passant, et sur un amendement du radical de gauche Alain Tourret, qui en avait fait avec raison un cheval de bataille, l’Assemblée a autorisé les suspension des peines de prison pour les femmes enceintes. Il faut désormais prendre « toutes les dispositions utiles afin qu’aucune femme enceinte ne puisse être placée ou maintenue en détention au-delà de la douzième semaine de grossesse », hors les cas de crimes et de délits sur des mineurs. « 26 enfants de moins de 18 mois vivent en prison », a indiqué le député du Calvados, et ils sont « 500 nourrissons en Europe », qui sont « des victimes de plus ». A 18 mois, l’enfant était arraché à sa mère et placé à l’extérieur. L’UMP a voté l’amendement « sans réserve ». De la même manière, en détention provisoire, il est désormais possible d’être remis en liberté en cas de « pathologie engageant le pronostic vital ou si l’état de santé est incompatible avec le maintien en détention ». En revanche, les malades mentaux resteront au trou – 80% des détenus présentent au moins un trouble psychiatrique.
Durcissement de la loi
Pour rassurer - moins la droite, c’était peine perdue - que le ministère de l’intérieur, Dominique Raimbourg a nettement renforcé la sévérité de ce contrôle. Une disposition du texte, vigoureusement combattue par la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH, §79 de l’avis) et devant le Sénat par l’ancien ministre de la justice, Robert Badinter, avait été imposée par Manuel Valls en 2013. Il s’agissait de réduire le seuil des aménagements de peine de deux ans et d’un an pour les récidivistes. La loi Dati sur les peines plancher était, il est vrai, des plus étranges : elle forçait la main aux magistrats pour incarcérer davantage, et permettait aux plus petits délinquants (les plus nombreux) d’éviter la prison s’ils étaient condamnés à moins de deux ans fermes. Dorénavant, il ne sera possible d’aménager que les peines de moins d’un an, ce qui devrait augmenter les incarcération, et c’est un problème - « je soutiens Mme Dati », avait rit jaune Alain Tourret.
Le juge d’application des peines pourra désormais ordonner la géolocalisation et les écoutes des sortants de prison, qui redeviennent donc des suspects. Surtout, la surveillance judiciaire des sortants – prévue avec bon sens pour empêcher l’auteur de violences conjugales de croiser sa victime – est généralisée à tous les sortants de prison et elle est confiée indirectement aux services de police (dans les conseils locaux de prévention de la délinquance et les états majors de sécurité). Ils auront le pouvoir de discuter des situations individuelles, d’obtenir des documents confidentiels (les jugements, les casiers judiciaires, les expertises psychiatriques) pour « s’assurer du respect de la mesure » ordonnée par le tribunal. Les policiers pourront ficher les sortants de prison en probation, et même les interpeller s’ils sont soupçonnés de ne pas respecter les mesures. Ils pourront d'ailleurs être retenus pendant vingt-quatre heures – sans avocat – et même faire l’objet « d’investigations corporelles internes ».
« La confusion est totale », s’inquiète le Syndicat de la magistrature (SM, gauche), accorder ces pouvoirs à l’administration, « c’est porter une atteinte fondamentale à la séparation des pouvoirs et à l’indépendance de la justice. C'est, sous prétexte d’efficacité, confier des prérogatives relevant strictement de l’autorité judiciaire, garante constitutionnelle des libertés individuelles ». C’est aussi placer les conseillers d’insertion et de probation dans une situation impossible : ils doivent donner sa chance au condamné en probation, alors que le préfet et les autorités administratives auront les moyens de paralyser leurs efforts et de demander au juge de réincarcérer le sortant de prison en probation.
Les inquiétudes du Syndicat de la magistrature
Les textes de référence
1. Le texte initial du projet de loi, adopté en Conseil des ministres le 9 octobre 2013 et déposé le même jour sur le bureau de l’Assemblée nationale. L’exposé des motifs (au début, pages 3 à 15) est intéressant, le texte de la loi est vraiment technique (pages 16 à 34), la copieuse étude d’impact, à la fin (des pages 35 à 160), très éclairante.
2. Le texte adopté à l’Assemblée nationale. A noter que le titre initial du projet, « prévention de la récidive et individualisation de la peine », est devenu, après le passage en commission des lois, projet de loi « tendant à renforcer l’efficacité des sanctions pénales ».